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Plan de valorisation en entreprise : une nouvelle prime gadget - Alternatives Économiques

Une énième prime au rabais ? Le 24 mai, le gouvernement a dévoilé en Conseil des ministres son projet de loi sur le partage de la valeur, largement inspiré de l’accord national interprofessionnel (ANI) conclu en février entre partenaires sociaux. Il vise à améliorer et à généraliser les dispositifs d’épargne salariale qui permettent de partager les bons résultats financiers au sein d’une entreprise, dans un contexte de flambée des prix.

Et parmi des outils déjà connus comme la participation, l’intéressement, voire la prime de pouvoir d’achat – l’ex Pepa rebaptisée « prime de partage de la valeur » – un petit nouveau fait son apparition à l’article 7 : le plan de valorisation en entreprise.

Mis en place par accord collectif et sur la base du volontariat, ce nouveau dispositif de partage de la valeur s’adresse à tous les salariés ayant au moins un an d’ancienneté. Il permet à ces derniers de percevoir une « prime » correspondant à un montant de référence attribué la première année, auquel est appliqué, lorsqu’il est positif, le pourcentage de variation de la valeur de l’entreprise sur un cycle de trois ans.

« On attribue à chaque salarié un montant fictif, par exemple 10 000 euros, à une date précise qui concrétise le début du plan. On évalue la valeur de l’entreprise et, trois ans plus tard, on regarde la progression de la valorisation de l’entreprise. Si elle a augmenté de 10 %, alors on applique ce pourcentage à la somme allouée, en l’occurrence 1 000 euros, et on vous verse ces 1 000 euros sous forme de prime », décrypte Luc Mathieu, secrétaire national de la CFDT.

Actionnariat salarié au rabais

Ce montant varie en fonction de la rémunération, du niveau de classification ou de la durée de travail. « C’est de l’actionnariat salarié sans action », résume Benjamin Sanson, directeur du développement commercial Retraite & Investissement chez Mercer France. Bien que l’actionnariat salarié soit répandu dans les grandes entreprises, les sociétés qui souhaitent le mettre en place « sont souvent freinées par la complexité de l’opération », pointent les signataires de l’ANI. Les plans de valorisation sont donc censés être une alternative plus accessible.

« Avec les plans de valorisation, le gouvernement crée l’indexation d’une prime sur l’augmentation de la valeur de l’entreprise qui est plus simple à mettre en place car elle ne nécessite ni d’augmenter le capital, ni de céder des parts », pointe Benjamin Sanson.

Ce système a pour objectif de séduire les plus petites entreprises qui sont encore à la traîne : 88,5 % des salariés d’entreprises de plus de 1 000 personnes bénéficiaient d’un dispositif de partage de la valeur en 2020, contre moins de 20 % dans celles de moins de 50 salariés, d’après la Direction statistique du ministère du Travail (Dares).

Cet outil a beau être plus simple à mettre en place que l’actionnariat salarié, il n’est pas sûr qu’il suffise à convaincre les entreprises réticentes, appuie Sandrine Dorbes, spécialiste de la stratégie de rémunération et fondatrice du cabinet How Much.

« Ce n’est pas parce qu’une entreprise a une telle valeur sur le marché que la société dispose réellement de cette valeur. Les plus petites entreprises ne vont pas forcément avoir la trésorerie nécessaire pour mettre en place ce dispositif. Ça ne résout en rien le problème de départ. »

Fidéliser

Et encore faut-il pouvoir évaluer la valeur de l’entreprise. « C’est facile pour les entreprises cotées en Bourse mais, pour les autres, il va falloir faire intervenir des organismes comptables qui vont valoriser votre société et suivre son évolution dans le temps, c’est lourd et ça va leur coûter de l’argent », signale Luc Mathieu qui parle pour cette raison d’un dispositif « gadget » qui risque donc de rater sa cible.

Autre point négatif souligné par Nicolas Aubert, professeur à l’université d’Aix-Marseille (IAE), les plans de valorisation en entreprise risquent de concurrencer l’actionnariat salarié, au détriment de ces derniers :

« On a d’un côté une prime conjoncturelle et de l’autre une dotation en patrimoine qui ouvre des droits. Un plan de valorisation c’est juste de l’actionnariat salarié au rabais. »

Pour les entreprises, les plans de valorisation permettraient néanmoins d’intéresser financièrement les salariés à la croissance de la valeur de leur entreprise, tout en les fidélisant.

« Participer à la valorisation de l’entreprise, c’est participer à son succès. Cela crée ainsi une valeur d’engagement et permet aux salariés de recevoir le fruit de leur investissement », détaille Franck Chéron, associé Capital Humain chez Deloitte.

Au détriment de la hausse des salaires

Et en imposant un engagement de quatre ans pour obtenir cette prime, ce dispositif peut convaincre les entreprises qui ont à cœur de garder leurs bons éléments et récompense ainsi les salariés les plus fidèles. Un outil de rétention important en pleine crise de recrutement, soutient Benjamin Sanson.

« Aujourd’hui, quand vous avez de la participation ou de l’intéressement, vous avez une prime à la performance à court terme, annuelle. Le plan de valorisation permet d’engager les salariés sur des projets à moyen terme, sur plusieurs années », soutient l’expert en rémunération.

L’outil suffira-t-il à séduire des entreprises qui connaissent de plus en plus de difficultés de recrutement, sachant que, selon Pôle emploi, les jeunes actifs d’aujourd’hui changeront en moyenne treize à quinze fois d’emploi au cours de leur vie ?

« Il n’y a pas vraiment de lien entre l’ancienneté et la rémunération actuellement. La prime d’ancienneté reste très peu utilisée dans les entreprises qui préfèrent individualiser les primes et récompenser la performance », explique Sandrine Dorbes.

Toujours est-il que ce dispositif, comme la plupart des dispositifs d’épargne salariale et de partage de la valeur, sera exonéré de cotisations sociales. Un nouvel « artifice » qui encourage les entreprises à les privilégier à la hausse des salaires, déplore Boris Plazzi, secrétaire confédéral de la CGT :

« C’est simplement un nouveau moyen pour les entreprises de ne pas s’acquitter de leur responsabilité au moment même où on nous dit qu’il y a un problème du financement du système de protection sociale. »

En effet, autre impact de cette exonération, les caisses de la Sécurité sociale voient leurs recettes baisser et c’est dans des recettes fiscales comme la TVA que l’Etat puise, pour renflouer les caisses. Dans une annexe de son Projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2023, le gouvernement reconnaît ainsi que, cette année, l’épargne salariale au sens strict coûtera à la collectivité près de 2 milliards d’euros.

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