Créé par des entrepreneurs de la Silicon Valley pour récompenser des percées sicentifiques, c'est un des plus prestigieux prix américains. Un des plus dotés, en tout cas, puisque chacun des lauréats du Breakthrough Prize se voit remettre la coquette somme de trois millions de dollars - le triple de celle d'un prix Nobel.
Et une neurobiologiste française figure cette année parmi les lauréats: Catherine Dulac. Professeure et directrice de laboratoire à Harvard et à l’institut médical Howard Hughes, elle s'est vu récompensée jeudi dans la catégorie "sciences de la vie" pour avoir identifié les circuits de neurones du cerveau qui, instinctivement, dictent à une souris femelle de généralement prendre soin des souriceaux, et au mâle de les attaquer, selon les circonstances (un comportement infanticidaire typique des mâles).
Les circuits mâle et femelle cohabitent
Sa contribution majeure est d’avoir montré que mâles et femelles possèdent chacun en eux les circuits comportementaux des deux sexes: la différence est que leurs hormones activent l’un ou l’autre des circuits, comme un interrupteur. Parfois, c’est l’autre circuit qui s’active, conduisant par exemple une mère stressée à tuer ses petits ou, encore plus spectaculaire, un mâle à s’occuper de sa progéniture lorsqu’il devient père.
Si la scientifique insiste sur le fait que ses recherches ne portent que sur les souris, «on pense que ce qu’on a trouvé peut s’étendre à d’autres espèces», explique Catherine Dulac. Dont les humains. «Il y a un instinct, et l’instinct, c’est justement le fonctionnement de ces neurones, qui sont -je parie- dans le cerveau de tous les mammifères et disent à l’animal, quand il y a des signaux sur la présence de nouveaux-nés: “Tu dois t’en occuper”».
Une découverte qui éclaire les questions transgenres
Ces travaux de recherche fondamentale intéressent évidemment tous ceux qui travaillent sur les questions transgenres, puisqu'elles démontrent que le "câblage" masculin et féminin existe chez tous les individus (du moins chez les souris).
Familles ou proches de personnes transgenres l’interpellent régulièrement pour la remercier. «Je suis une scientifique, je regarde les données, je suis neutre», dit-elle, mais elle admet que ça la touche énormément. «Là on se dit: j’ai été utile», déclare la scientifique, installée depuis 25 ans aux Etats-Unis.
Quant à l’argent du prix, la neurobiologiste confie qu’elle en donnera une partie à des causes liées à la santé et l’éducation des femmes et populations défavorisées.
Le poids du paternalisme et du machisme
Âgée de 57 ans, Catherine Dulac est originaire de Montpellier. Passée par Normale Sup, elle était partie aux Etats-Unis après son doctorat avec la ferme intention de revenir ensuite en France. «Mais mon post-doc a très bien marché, et j’ai eu des opportunités pour avoir mon propre labo aux Etats-Unis, et je n’ai eu aucune opportunité d’avoir mon propre labo en France. Là je me suis vraiment heurtée à une espèce de comportement paternaliste à la con, si je puis m’exprimer ainsi, où les gens disaient: “Oh vous êtes beaucoup trop jeune pour avoir votre propre budget, vous n’avez pas assez d’expérience pour être indépendante”».
Catherine Dulac a donc choisi Harvard et fait sa vie là-bas, obtenant in fine la double nationalité.
Elle estime que les Etats-Unis ont des années d’avance sur la France pour promouvoir activement l’égalité hommes-femmes, mais régulièrement raconte dans ses conférences être sous-estimée, ou prise de haut dans des conversations, par des collègues hommes. «C’est agaçant, on ne s’attend pas à ce que moi, j’aie quelque chose d’intéressant à dire», relève la professeure Dulac, soupirant face à ce qui ressemble fort à un instinct de mâle.
Six autres scientifiques ont été récompensés en sciences de la vie, physique fondamentale et mathématiques. Créé en 2013, le Breakthrough Prize compte notamment parmi ses fondateurs les patrons de Google, Facebook et Ali Baba.
September 11, 2020 at 11:03AM
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Sciences | La neurobiologiste française qui perce les mystères de l’instinct parental - Le Progrès
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