Par Arnaud Demion.
Le sociologue Gérald Bronner fait remarquer que la société est traversée par des mouvements de défiance envers la science, en particulier pendant les périodes de crises où les complotistes saturent les réseaux sociaux de leur prose pour gagner du terrain idéologique.
Par exemple, les anti-vaccins sont paradoxalement particulièrement actifs pendant les épidémies et les pandémies et profitent que l’attention générale soit centrée sur les questions de santé pour propager leurs idées.
Mais la désinformation scientifique ne s’arrête pas à la santé, et que ce soit en matière d’écologie, d’énergie, d’agriculture ou encore de sciences fondamentales comme la chimie et la physique, l’idéologie et les pseudo-sciences sont en bonne place dans le marché cognitif. Est-ce à dire que le prestige de la science est sur le déclin ?
Si l’on regarde un peu plus en détail, ce n’est pas tant la science dans son ensemble qui souffre d’une crise de confiance que certains champs d’étude, et même des sujets particuliers au sein de ces derniers.
La science et le coronavirus, à qui faire confiance ?
Pendant la crise du Covid-19 et en matière de santé, les Français semblaient majoritairement faire confiance aux chercheurs et aux professionnels de la santé. Mais comment expliquer dès lors la popularité des « cowboys » de la médecine et de la biologie que sont le professeur Joyeux, le professeur Raoult, ou encore le professeur Séralini ?
Comment expliquer la tendance du grand public à prendre parti sur des questions où la science n’offre pas encore de réponse fiable, faute de données suffisantes ou de modèles robustes ?
La question de la réception des résultats scientifiques auprès du grand public relève de plusieurs problèmes intriqués : l’existence ou non de consensus scientifiques sur des sujets donnés, les intuitions normatives des individus, et la monopolisation de la création du savoir scientifique par l’État.
Les consensus au sein de la communauté scientifique semblent à première vue faciliter l’acceptation des résultats scientifiques. En effet, le consensus scientifique réduit le nombre de théories concurrentes qui percolent vers le profane et favorise de fait la visibilité de la théorie faisant consensus, tout en renforçant mécaniquement le phénomène d’autorité (en termes de compétences dans la division du travail intellectuel) par le nombre de scientifiques qui souscrivent à celui-ci.
Il existe cependant des mécanismes entravant la création et la réception du savoir, et nous proposons ici d’en énumérer deux, qui même s’ils agissent à des niveaux différents, relèvent de la même nature : l’intuition normative et son interaction avec le savoir.
L’influence des intuitions normatives
Les sujets mobilisant le plus facilement les intuitions normatives du public sont les plus susceptibles de rencontrer la défiance. On trouve ainsi beaucoup moins de personnes remettant en question les résultats des lois physiques que les résultats de la psychologie évolutionnaire, car comme l’écrit Vincent Debierre pour Telos « [Là] où notre évolution nous a équipés avec des instincts forts quant à ce qui est juste entre humains, elle ne nous a en rien prédisposé à ressentir de l’approbation ou de l’indignation à propos d’une interaction entre molécules », et cela est valable pour le grand public comme pour les scientifiques (nous y reviendrons plus tard dans cet article).
Ainsi, un consensus scientifique concernant un sujet sensible pour les intuitions des uns sera volontiers vu comme le signe d’une corruption des institutions de recherche.
Plutôt que de chercher à s’instruire un peu plus pour évaluer la solidité du consensus, l’individu aura tendance à pratiquer le raisonnement motivé en construisant par exemple des théories du complot.
En l’absence de consensus, les biais cognitifs seront plutôt mobilisés pour inventer des résultats qui n’existent pas (ou pas encore) mais allant dans le sens des intuitions morales comme on a pu le voir avec la polémique autour de l’hydroxychloroquine.
L’influence de l’État sur les institutions de recherche
Le grand public n’est pas le seul responsable des pseudo-sciences qui circulent sur le marché cognitif et de la défiance envers les institutions de recherche. La monochromie normative dont sont atteintes les institutions de recherche quand celles-ci sont majoritairement peuplées d’individus ayant les mêmes intuitions favorise la création de nouvelles formes de lyssenkisme.
En ayant nationalisé la pratique scientifique, l’État avantage l’esprit corporatiste et le tribalisme politique au sein des instituts de recherche. La suppression de la pression économique par le financement public permet à des pans de ces institutions de se mettre en roue libre.
Une université privée se doit de dégager un chiffre d’affaires pour survivre, en fournissant par exemple des cours et diplômes débouchant sur des emplois et délivrant un savoir utile, ce qui constitue déjà un filtre (imparfait) de la qualité de ce même savoir.
Un exemple canonique de ces mécanismes est l’université semi-privée d’Evergreen aux États-Unis, qui après s’être littéralement transformée en secte intersectionnelle et avoir fait parler d’elle dans le monde entier, voit son nombre d’inscription fondre et ses frais d’inscription augmenter pour compenser la perte financière.
Mais quid d’une université publique dont les mêmes dérives commencent à se manifester comme cela est de plus en plus le cas en France ?
L’absence totale de « punition » économique permet à la situation de perdurer aussi longtemps que l’autorise l’administration publique, et le lieu de savoir qu’est l’université peut ainsi se transformer en véritable camp d’endoctrinement politique, comme l’étudiant Eliott Savy l’a fait remarquer dans la presse à propos de l’Université Lyon 2.
Le glissement idéologique d’une université s’opère ainsi progressivement par ostracisation. Lorsqu’un groupe d’individus militants atteint une taille critique pour peser sur l’orientation du recrutement des nouveaux membres de laboratoires de recherche et d’enseignants, un cercle vicieux se met alors en place, assurant une monochromie presque totale.
Le rôle de l’État dans la défiance envers les sciences ne se limite toutefois pas à son monopole sur ces dernières, puisqu’il subventionne des ONG hostiles au progrès ainsi que des projets de politisation de la science.
C’est le cas par exemple de l’association Sciences Citoyennes, dont l’objectif — abstraction faite des idiosyncrasies collectivistes et antilibérales habituelles — ressemble à s’y méprendre à l’anarchisme épistémologique de Paul Feyerabend, dont se revendique notamment le professeur Raoult.
En finançant de telles associations, l’État brouille les pistes : d’un côté l’activité scientifique est monopolisée et sanctifiée comme institution publique avec de très fortes barrières à l’entrée, et de l’autre le message selon lequel n’importe qui peut faire peser démocratiquement son opinion sur un sujet pointu est encouragé.
L’État n’est évidemment pas responsable de la nature crédule de l’Homme. Mais, comme nous l’avons montré, il est bel et bien en partie responsable de l’amplification de cette tendance anti-scientifique en stimulant les tribalismes politiques, dont les récits entrent toujours en collision avec les faits, et en verrouillant l’activité professionnelle que représente l’activité scientifique, permettant ainsi à de nouvelles formes de lyssenkisme de se développer.
July 02, 2020 at 09:44AM
https://ift.tt/38iLEDP
L’État nuit-il au prestige de la science ? - Contrepoints
https://ift.tt/2BJRZfi
science
Bagikan Berita Ini
0 Response to "L’État nuit-il au prestige de la science ? - Contrepoints"
Post a Comment